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      OUI, LA CHAIR, SUJET EXCLUSIF DE RECHERCHE, DE PERDITION, D'EMERVEILLEMENT.


Une pornographie qui n'est plus anatomie de foire, illusion démocratique, mais pratique d'une exigence, la mise en scène de la sauvagerie.
D'une expo Rey à une autre, c'est la variabilité du corps qui est explorée, déclinée, comme autant d'une langue à déchiffrer. Le « donner à voir », si cher aux surréalistes, livre ici l'un de ces derniers combats, trop tard pour griser les métaphores.

Jusqu'à l'effacement des sourires et des cris, puisque les femmes de Rey sont presque toutes acéphales, certaines même semblent vivre de cette sorte de pudeur, elles ne s'offrent ni ne s'exposent, reculent effarouchées ou provocantes à l'intérieur de leurs corps. Donc aucune intention de louvoyer entre le légitime et l'illicite, la permission et l'imperméable, mais au contraire d'agir d'emblée sur le champ de la revendication  juste car naturelle. Est-il utile de rappeler que le sexe est une affaire gravissime ; participer à son illustration reléve de stratégies à la fois sociales, esthétiques, politiques, et c'est bien cette complexité qui en accuse la marginalité ( du moins dans les sociétés occidentales européennes ).

Les liens entre Pierre Molinier et Jean-Pierre Rey ne sont pas exactement ceux du maître à l'élève, de l'aîné au cadet, même si biographie et chronologie peuvent accréditer cette thése. Au petit jeu de la comparaison/soustraction, on ne retirera aucun bénéfice, d'abord parce que le premier est depuis longtemps mort et enterré, aujourd'hui prisé par les plus fins collectionneurs de la planète, et que le second, héritier putatif et humble, surtout pas autoproclamé, engage, comme je viens de le dire, un combat beaucoup plus douteux et ardu que celui de Molinier dans les fastueuses années 60 & 70 : question de temps, de moeurs et de marché. Je crois plut¨t à une filiation douce, un réseau d'échos à échos, le Bordeaux pornographiquement noble bat encore sa sourdine,Stéphane Monco en de trop rares et fulgurantes occasions, Philippe Simon et Colette Trignac, gardiens d'une pureté kitsch.
Non, les liens dont je parle relèvent de la variation de style, d'une réalité qui ne s'impose pas mais se négocie en secret : l'amour pour le papier argentique, l'expérience comme but et fin, l'entière liberté d'improvisation donnée aux modèles. C'est à dire autant de critères objectifs qui parlent encore de marginalité dans une ville qui, et ceci n'est point cliché, préfère volontiers exposer les marines et sanguines de son glorieux passé ou les panoramas zénistiques de la grande mare d'Arcachon.
De toute façon, de quelle pornographie s'agit-il ? Où s'en trouvent le cercle et la circonférence ? Aucune scéne de pénétration, juste des simulacres, pas de violence machiste mais des ballets d'ombres et de clartés sur supports de chair, comme si toute cette féerie se rendait incapable de porter sur le front ou les fesses une étiquette mentale, pornographie, érotisme, naturalisme, art brut. Molinier avait reconnu bien embarassante toute tentative de classification. Le cas de Rey est encore plus flagrant : si une fatwah intello-moralisante venait à le sanctionner, il faudrait alors retirer des parcs et jardins toutes les dianes, vénus, aphrodites qui en disent autant sinon plus ( troisième dimension oblige ) aux publics de tous âges et sensibilités.

Voilà pourquoi je me demande si la question de l'acceptation, ou non, de leurs travaux respectifs ne relève pas d'un posteriori maniaque et policé de la part des critiques, revenant à déterminer le niveau d'étiage auquel l'oeuvre serait présentable. Peut-être entre-t-il aussi une bonne part de frustration puisque cette pornographie-là n'est guère au degré de provocation attendue. Tant pis pour ceux qui confondent l'art et la cochonnerie ! Le photographe est photographe parce qu'il harcèle l'humain, l'émerge de ses fausses idées de joie, de naufrages et risques rouges, adieu les infortunes, on est souvent mieux en black box que dans la rue quand elle aussi nous mate.

Vous ne verrez pas leurs visages,
Peut-être sentirez-vous leurs parfums sur le papier.
Mains & bras de nos soeurs, des reines ou des marionnettes, c'est selon.
Rondeurs intactes, volumes intègres. Les entrées & les sorties de nos obscurités.
Soeurs mais alliées, frileuses comme la chair quand on la vide.
L'état du monde ? Il hésitera toujours entre un cul blanc, anonyme, et le degré zéro de la jouissance.
Eros, Dionysos, respecte un peu les dieux qui t'ont fait naître.

Entre la foi & le sexe, il y a toutes ces pierres-livres, ces vagues d'orthodoxies, de commentaires qui moutonnent à la crête de l'épouvantable.
Quand l'homme lutte contre le poids de l'air et ses propres synonymes, la femme en aspire discrètement l'éternité, lèche sa plaie, continue son chemin.
Vous qui aimez la femme, aimez le charbon.
D'ailleurs aucun de nos dirigeants politiques n'envisage de tuer la mort ; Ils préfèrent se coucher devant la lune qui observe, prend des notes pour plus tard.
En ces temps de parachutes qui refusent de s'ouvrir, mieux vaut ramper jusqu'à la prochaine croupe.
En ces temps de trajectoires biaisées, sacrifions les voyelles claires.
Goûtons l'indispensable à la traversée de la vie.


©: Thierry Delhourme/ Rouge à Livres, juillet 2005
 
 
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